Diagnostics laser CRDS
Comprendre la CRDS pulsée
L’acronyme CRDS signifie « Cavity Ring Down Spectroscopy » et peut être traduit en français par « Spectroscopie à Temps de Déclin d’une Cavité optique » (ou Spectroscopie par Temps d’Amortissement de Résonance, STAR [1]). Cette technique, initialement dédiée à la mesure des coefficients de réflexion de miroirs, a été appliquée pour la première fois par O’Keefe et Deacon en 1988 à la mesure par spectroscopie d’absorption d’une espèce moléculaire avec une sensibilité de 10-6 par cm [2]. Depuis, des variantes de la technique ont été proposées ; cw-CRDS (continuous wave CRDS), BB-CEAS (Broad Band Cavity Enhanced Absorption Spectroscopy), PS-CRDS (Phase Shift CRDS), ICLAS (Intra Cavity Laser Absorption)… Dans cet article, nous présentons le principe de la CRDS pulsée et quelques applications aux mesures en combustion.
Absorption/Absorbance
La technique CRDS est une méthode d’absorption et repose sur la loi de Beer-Lambert qui établit une relation de proportionnalité entre l’absorption d’un faisceau de lumière monochromatique dans un milieu homogène et isotrope, le trajet optique du faisceau et la concentration d’une espèce selon l’expression : It=I0exp(-αl) . I0 et It sont respectivement les intensités incidente et transmise du faisceau, l est la longueur du trajet optique. α (exprimé en cm-1) est le coefficient d’absorption du milieu qui est égal au produit de la section efficace d’absorption σ (en cm-1 /( molécule cm-3)) et de la concentration de l’espèce absorbante (en molécule cm-3). Les termes s et a dépendent de la longueur d’onde du faisceau et de la température du milieu. La méthode d’absorption la plus simple consiste à mesurer l’atténuation du signal lumineux lors de son trajet dans le milieu absorbant de longueur l, comme le montre la Figure 1. Cela suppose de pouvoir mesurer avec précision une différence d’intensité de lumière, sachant qu’il est souvent délicat d’avoir une source de lumière parfaitement stable en intensité. L’augmentation de la sensibilité de la technique passe par l’augmentation du trajet optique, soit en augmentant la longueur du dispositif, soit en utilisant des miroirs qui vont permettre d’accroître le trajet optique en multipliant le nombre de réflexions de la lumière dans la cellule de mesure (absorption multi-passage).
Principe général de la CRDS
Le principe de la CRDS repose sur la mesure de la vitesse de déclin de l’intensité de la lumière dans une cavité optique, plutôt que sur l’amplitude d’absorption. De façon simple, la CRDS consiste à mesurer le temps de vie d’une impulsion laser qui effectue de très nombreux allers et retours entre les 2 miroirs hautement réfléchissants de la cavité optique (coefficient de réflexion, R). L’intensité du pulse décroît dans la cavité du fait de l’absorption des molécules et des pertes à chaque réflexion sur les miroirs. A chaque fois que l’impulsion est réfléchie, une faible fraction de l’intensité est transmise (Ɪ1, Ɪ2, …, Ɪn). Le signal collecté en sortie de la cavité suit une décroissance temporelle qui peut s’exprimer selon une loi exponentielle :
Ɪ(t) = Ɪ0exp(-tc(1-R+αl)/d) = Ɪ0exp(-t/τ) eq. (1)
La CRDS repose donc sur la mesure du temps de déclin ou temps de vie de l’impulsion laser dans la cavité, τ. En absence d’absorption dans la cavité (α = 0), le temps de vie s’exprime selon : τ0 = d/c(1-R) . La présence d’un milieu absorbant dans la cavité (α ≠ 0) entraîne l’augmentation de la vitesse de déclin de l’impulsion et t s’exprime selon : τ=d/c[(1-R)+k] . L’absorbance (k = αl) peut être déterminée par comparaison des inverses des temps de vie mesurés respectivement avec et sans absorption : k = (d/c).(1/τ-1/τ0).
La longueur d’absorbance l n’est pas nécessairement égale à la distance entre les miroirs d. La méthode ne nécessite pas de connaître les coefficients de réflexion des miroirs. Lors des études en flamme ou dans les plasmas, le milieu réactif est placé au centre de la cavité optique, comme le montre la Figure 2.
Sensibilité de la CRDS
La puissance de la CRDS réside dans sa sensibilité. La technique permet d’une part de s’affranchir des fluctuations de l’intensité de la lumière incidente. D’autre part, le trajet optique dans la cavité augmente considérablement, et ceci d’autant plus que le traitement des miroirs est hautement réfléchissant. Il est ainsi possible d’avoir une sensibilité de 3 à 4 ordres de grandeur supérieurs à celle de l’absorption simple. Dans le domaine de l’infrarouge, la qualité de traitement des miroirs permet d’avoir des coefficients de réflexion supérieurs à 99.99%. Cependant, dans le domaine du visible et de l’UV, les techniques de traitement ne permettent d’avoir des coefficients que de l’ordre de 99.5% à 99.9%. Cela se traduit par une sensibilité un peu moindre de la technique qui reste toutefois très élevée.
Mesure de la décroissance temporelle
Un détecteur photonique (photodiode ou photomultiplicateur) situé à la sortie de la cavité optique permet de mesurer l’intensité du signal transmis par celle-ci en temps réel. Le détecteur est associé à un oscilloscope ou une carte d’acquisition, en lien avec un ordinateur. Il est nécessaire de traiter en temps réel la détermination du temps de vie t à partir de la mesure de la décroissance temporelle exponentielle du signal CRDS. Rappelons que la sensibilité de la technique est liée à la précision de la mesure de t. Il est, par exemple, important de ne pas intégrer dans le traitement numérique le bruit qui a un effet conséquent sur la détermination de t.
Les applications au laboratoire
Application de la CRDS pulsée aux mesures en flammes
De nombreux exemples d’applications de la CRDS pulsée pour des études en combustion sont répertoriés dans la littérature. Une synthèse des espèces détectées en flamme est reportée dans un ouvrage récent dédié à la technique CRDS [3].
En pratique, les pertes sont non seulement dues à la réflexion des miroirs et à l’absorption, mais également liées aux diffusions de Mie et Rayleigh dans la cavité. Ces pertes sont indépendantes de la longueur d’onde de la radiation laser et le principe de mesure du temps de vie hors absorption permet de déterminer l’ensemble des pertes non absorbantes.
Obtention de spectres d’absorption
La technique CRDS permet d’obtenir des spectres d’absorption. La mesure du temps de vie mesurée en fonction de la longueur d’onde (ou de la pulsation) est convertie en pertes par passage ou absorbance (al) en assimilant la ligne de base à la mesure du temps de vie sans absorption. Une illustration d’un spectre du radical NCO mesuré à 2000K est présentée sur la Figure 4. Ce spectre a été mesuré au sein d’une flamme avec une absorbance maximale de 130 ppma, soit une atténuation de 2.10-5 par cm. Dans ce travail, la flamme plate d’un diamètre de 6 cm était placée au centre d’une cavité optique de 42 cm de long, et la fraction molaire de NCO a été mesurée égale à 20 ppm.
aL’absorbance (ou pertes par passage) n’ayant pas d’unité, elles sont souvent précisées en ppm.
Détermination des concentrations d’espèces
Si la section efficace d’absorption σ(ν) de l’espèce est connue, la mesure effectuée par CRDS comme toute mesure d’absorption permet également de déterminer la concentration absolue de l’espèce. On peut faire une mesure soit par absorptivité intégrée, soit au pic de la raie d’absorption. Dans le premier cas, lorsque la molécule présente un spectre de raies, on peut mesurer une des raies d’absorption de l’espèce en effectuant un balayage en longueur d’onde du laser autour de celle-ci. La détermination de l’absorptivité intégrée permet de déterminer la concentration de l’espèce à partir de la force de raie I(ν 0) et ne requiert pas de connaître la largeur spectrale du laser, selon Eq. (3). ƒB(T, ν0) est le facteur de Boltzmann à la température T, h est la constante de Planck, b est le coefficient d’Einstein pour l’absorption à la transition ν0 (normalisé par c).
A(ν) = ∫σ(ν)Nldν = Ꮖ(ν0)Nl = ƒB(T,ν0)hbν0Nl Eq. (3)
Dans le deuxième cas, on fait successivement la mesure du temps de vie au pic de la raie d’absorption et à une longueur d’onde hors absorption pour déterminer les pertes par absorption k(ν 0). Il faut déterminer la fonction d’élargissement laser ℊ(w) (avec ∫ℊ(ν)dν = 1).
k(ν0) = σ(ν0)Nl = Ꮖ(ν0)ℊ(ν0)Nl Eq. (4)
On fait l’hypothèse que le mélange est homogène le long du diamètre de la flamme, l. Celle-ci peut être vérifiée par comparaison des mesures relatives réalisées localement par Fluorescence Induite par Laser (LIF, Laser Induced Fluorescence) et des mesures par absorption CRDS comme le montre la Figure 5. Notons que si dans le volume de mesure, le mélange n’est pas homogène mais présente au moins un axe de symétrie, on peut traiter la mesure de l’absorption par une inversion d’Abel.
Performances et variantes du CRDS
La performance du CRDS pulsé a été démontrée, et permet de mesurer des espèces traces avec une sensibilité de l’ordre de 10-6 cm-1. Cette technique, relativement simple à mettre en œuvre, est applicable aux mesures dans des milieux complexes tels que ceux rencontrés dans les études en combustion ou plasma, avec la présence d’un fort gradient thermique. Cependant, avec les sources pulsées, plusieurs modes longitudinaux de la cavité sont excités et cela entraîne des limitations de la sensibilité.
L’une des premières variantes du CRDS est le cw-CRDS. Dans ce cas, les sources continues qui offrent généralement une largeur spectrale fine (10-2 cm-1) permettent de n’exciter qu’un seul mode de la cavité. La sensibilité du cw-CRDS est de l’ordre de 10-9 cm-1. Cependant, la mise en œuvre de cette technique est plus délicate (optimisation de la longueur de la cavité avec la fréquence de la source) et n’est applicable que dans des cellules homogènes.
Pour en savoir plus sur la technique CRDS et ses variantes, nous recommandons l’ouvrage édité par Berden et Engeln [7].
Moyens
Pour plus d'informations sur les moyens disponibles pour la mise en place de diagnostics laser CRDS, consulter la page Equipements ou contacter les coordinateurs de plateforme.
Références
[1] S. Kassi, D. Romanini, Spectromètre laser à amplification résonante d’absorption. Applications à la mesure de trace de gaz, Tech. Ing. RE-100 (2008)
[2] A. O’Keefe, D.A.G Deacon, Cavity Ring-Down spectrometer for absorption measurements using pulsed laser sources, rev. Sci. Instr. 59(12) (1988) 2544-2551
[3] G. Berden, R. Engeln, Cavity Ring-Down Spectroscopy : Techniques and Applications, A John Wiley and Sons, Inc., Publication
[4] N. Lamoureux, X. Mercier, J-F. Pauwels, P. Desgroux, J. Phys. Chem. A 115 (2011) 5346-5353